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Lettres à une chimère
12 mai 2002

Une nouvelle tentative de renouer notre toile sur la toile ?

Mon Bel-Ami,

Ainsi donc nos élucubrations te manqueraient ? C’est vrai qu’elles se sont quelque peu raréfiées depuis un certain temps, particulièrement depuis que tu as quitté Corte et depuis que j’ai parallèlement décidé, choisi, de demeurer un peu plus sage dans mon verbe écrit… à défaut de mes actes, je te l’accorde ! C’est drôle que tu aies le sentiment d’une telle profusion de lignes (tiens ? et si j’allais me repoudrer le nez !?!) de ton côté car, je te le jure, face à l’attaque à main armée des dizaines de pages dont je t’ai imposé la lecture, ta prose est nettement plus rare et bien souvent autrement plus anodine, ne t’en déplaise ! Mais peut-être fais-tu un amalgame malgré toi avec nos conversations écrites sur NM qui, cela est exact, étaient pour leur aimable part denses et touffues… Un vrai bonheur, de jolis souvenirs…

Bien entendu, si l’envie te prenait de vouloir utiliser à nouveau ce vecteur-ci (quoi que tu aies un jour émis l’idée de mon radotage et de ton refus de devenir un épistolier redondant !), je suis toujours partant dans la mesure où, comme tu le sais, j’écris comme je parle, au poids, au kilomètre, à l’envie, à l’amour, et que je touche tout ce qui me passe par la tête, par les mains, les idées les pires et les meilleures, les indécences, les impudeurs. Je n’ai pas d’inhibitions particulières lorsque je corresponds avec un être aimé. Et tu fais partie de cette caste privilégiée, des rares Elus de mon cœur. Seulement, mon Lo, n’attends pas de moi que je sois l’unique scribouillard qui peuplerait le vide de ta boîte et flatterait ton ego par le doux intérêt que je te porte. Je ne jouerai à nouveau l’hymne à la nudité d’âme que dès l’instant où tu m’en aligneras autant… Etre le dépositaire d’un bout de l’autre, le garant de secrets, le sceau sacré, c’est beau quand c’est réciproque. Reprends donc ton clavier et je retrouverai le chemin du mien, sans quoi j’aurais trop la sensation de réclamer et d’inonder ton rivage sans bénéficier du ressac…

Mais puisque j’en suis là et précisément ici, profitons-en et débattons un peu des derniers événements.

Oui, bien sûr, moi aussi j’ai le plaisir certain à discuter avec toi, à parler de ce qui nous a forgé, des histoires qui nous ont sculptés, des mains qui nous ont touchés. J’ai la confiance aisée avec toi, et ainsi la confidence, bien que je souhaite conserver pour l’instant certaines choses, certaines clefs à mon essence, ces fameux "secrets" que j’appellerais plutôt "silences" à mon sens. C’est toutefois drôle comme tu te révèles un tantinet incohérent lorsque tu me demandes de t’en dire plus alors que tu m’as déjà fait le reproche de me dévoiler trop rapidement… Curieux que ce Lo qui s’affole d’en recevoir trop et de n’en avoir cependant pas assez ! Lorsque je te dis qu’il faudra le "mériter" c’est assurément un gros mot, étant donné qu’aux noisettes de mes yeux tu ne démérites en aucune façon que ce soit… Simplement, toi comme moi conservons des voiles sur nos expériences, des petits silences qui s’ébruiteront peut-être avec le temps, avec l’envie, avec l’occasion, ou avec un don de soi plus grand encore. Tu ne m’as pas éclairé davantage sur ton parcours psychique, ton traumatisme adolescent que tu m’as confié par exemple ; je ne t’ai pas encore explicité le chemin qui est le mien. Nous avons donc des zones d’ombre, non des terrains de chasse gardée mais des réserves. En attendant… L’amitié se construit, l’amour philia s’étend, l’éros pointe le bout de son nez aussi. Curieux mélange, n’est-ce pas, un peu explosif peut-être, mais quelle griserie !?!

Je prends toujours comme un compliment que tu compares tel ou tel moment que nous passons ensemble à un de tes chers souvenirs. Je deviens "l’exacte synthèse", pour reprendre un de mes mails précédents, de ce que tu as ailleurs, épars… C’est aussi ce qui te troubla et te trouble encore malgré toi, éventuellement. Le trouble se partage, crois-moi, même s’il n’est pas à proprement parler, du moins je le suppose, le même chez moi…

Que sont ainsi nos neuf années de différence ? Je n’ai pas le sentiment de te paterner et, sois en bien assuré, tu ne deviens pas pour autant mon mentor, mon Pygmalion. Je prends les choses comme elles se présentent, avec l’innocence qui s’impose, avec le vice qui s’ignore. Je sais des trentenaires cons comme la lune, je connais des nouveaux adultes autrement plus désenchantés que ton serviteur. Voilà pourquoi je ne crois par à l’arithmétique des anniversaires quand on partage l’esprit et le corps. Il s’agit davantage de feeling, de trésors communs, d’échos dans ses cultures, dans ses aspirations les plus publiques, les plus secrètes aussi, il s’agit d’alter égotisme, l’autre moi dans le verbe latin ! En ceci, je ne me retrouve pas sur une planète tellement différente de la tienne. Et quoi qu’il en soit, que j’aie fait de Casimir mon rendez-vous quotidien à l’âge où tu n’en avais que pour Dorothée (qui sévissait cependant déjà en face dans Récrée A2) ne fait pas, entre toi et moi, une montagne alors que d’autres vallées nous rapprochent…

Je ne te vends rien, disant cela, t’objecte simplement que ce type de remarque n’est pas recevable dans mon monde à moi. C’est ainsi qu’Ivan m’est un ami extraordinaire. J’en avais 21, lui 14. Si les chiffres nous donnaient tort, les faits auront prouvé le contraire. Et la durée aussi… De toutes façons, ce ne serait pas même ton inquiétude que ces neuf ans de réflexion, the nine years itch ! N’es-tu pas venu au grand galop faire ton numéro de bel étalon sous mon doux regard médusé de jeune homme "plutôt bien conservé" !?!

Non, ce qui gêne, outre l’indubitable fait que ce n’est absolument pas de saison ni (encore ?) de circonstances, c’est bel et bien le genre de vie, d’existence, que tu veux mener, plus précisément ta sacro-sainte liberté, liberté chérie, qui te fait trop facilement défaut, même si tu la sauvegardes tant bien que mal auprès de JF, tout occupé qu’est celui-ci à l’omniprésence de ses affaires et tout désireux aussi de pouvoir continuer à impunément jeter des yeux deci delà… Echange de bons procédés donc, mais "curieux couple" pour reprendre mon impression de départ, couple que je trouvais (trouve ?) malsain ! T’en souvient-il, ce n’est pas si loin !?!

Alors, bien sûr, ici ta jeunesse est à nouveau la carte maîtresse que tu ressors, prétextant que tu aimerais vivre, ne plus avoir à sacrifier autant comme à ce jour, pour pouvoir exister selon ton envie, selon tes desiderata, rentrer, sortir à ta guise, voir tes amis que, visiblement, tu n’arrives pas à intégrer dans ton histoire amoureuse… C’est dommage que de ne pouvoir construire un cénacle où évoluer à deux, crois-moi, et je sais ce que c’est, j’ai aussi rencontré le même problème avec Chloé. Sauf que je fis en ce qui me concerne des coupes sombres. Et que cela n’en a pas valu le coup, malheureusement ! Toi, tu te préserves, tu les préserves, tu me préserves par le fait même, et je t’admire. Mais évidemment je n’ai pas de fascination pour l’entité que JF et toi formez, tu me pardonneras cette réserve…

Tu m’as ainsi demandé ce que j’en pensais ; j’ai répondu… Et je m’en veux d’ailleurs de ma franchise. Cela m’a fait de la peine que de te mettre dans cette position… Je ne voulais pas te faire du mal, c’est certain, ni t’obliger à te justifier. Car je ne suis rien ni personne lorsque je sens une faille prête à devenir gouffre, je n’ai aucun droit de jouer les Cassandre de la sorte, aucune légitimité non plus. Et, de surcroît, je suis suspect de prêcher pour ma paroisse, puisque je n’ai dieu, grand ouvert, que pour cette belle Eglise, cette douce icône, dont je brigue en bon païen le sacrement, la communion extatique, la fameuse Passion dont je t’ai déjà parlé…! Je te demande pardon pour juger ce qui ne m’appartient pas, pour utiliser ce sixième sens dont je connais, somme toute, la perspicacité… Tu ne m’en voudras pas, j’espère. Mais rassure-moi, s’il te plaît. Je tiens à ton regard.

Evidemment, je ne puis parler qu’en miroir de ce que je vis, et c’est assurément un prisme un peu obtus et forcément subjectif. Je peux friser l’anamorphose aussi… Il est quoi qu’il en soit exact que tes velléités d’affranchissement, cette volonté si, des fois si, tu devais recommencer quelque chose, me rendent tant et plus perplexe et convaincu de ce que je sens. Que tu vives le couple comme une aliénation est pour moi une chose délicate à comprendre. Je suis de nature possessive, jalouse, j’espère généreuse, aimante en tous cas, "nounours" tendre pour te citer, et je ne vois pas le lien qui me lie à l’autre comme un boulet, comme un obstacle sur mon chemin, au contraire… Je vois ceci comme un port croquignolet, un phare rassurant, une antre où se blottir, s’épancher à plein temps, convaincu de l’oreille et de l’attention de l’autre… Je suis certes échaudé par mon ex, certes, certes, mais je ne sais rien de mieux que de vivre à deux, que de se réveiller toujours auprès de l’être aimé. Annihilé par conséquent mais tellement partant pour tisser ma corde et m’amarrer solidement. Je n’ai rien d’une moule sur pilotis pourtant, je t’assure ! Je demeure indépendant et toutefois délicieusement attaché, je fais du plat, je fais l’amour et l’amitié, tout mélangé… D’où vient cette différence entre nos deux façons d’entrevoir un avenir ? Je ne crois pas que cela procède des années mais plutôt de l’épanouissement que l’on éprouve au sein de ce que nous savons vivre et partager dans les couples que nous avons formés… Je n’ai pas le talent de l’égoïsme pour ma part, c’est un fait avéré, sans quoi je mettrais à profit mes atouts pour combler le vide et me faire mousser…

Ainsi, d’après moi, soit tu te contentes de ton insatisfaction (que tu ne veux pourtant pas recenser) soit tu n’es présentement pas fait pour ce genre d’expérience, prioritairement versé vers ta satisfaction personnelle, un chouya nombriliste, et accessoirement un peu égocentré (Ah, ca y est ! ! ! J’en tiens un de défaut chez mon Grand Circoncis !). Tu n’as bien sûr nulle obligation de me répondre. Laisse-moi juste le plaisir de tâcher de te faire comprendre que je ne suis pas une sangsue dans mes histoires d’amour dès lors que l’on possède le désir de rentrer à la maison en étant heureux de retrouver ce qui réchauffe chaque jour que Dieu fait, un plat de tendresse et un cœur simple…

Cette missive ne serait cependant complète sans que je lève en toutes lettres le doute qui plane d’après toi sur mes intentions, sans que je réponde à ta sublime question à un million, nouvelle version puisque nouvelle donne, à laquelle j’ai pourtant déjà répondu verbalement… mais c’est visiblement tombé à terre dans un corps à corps trop musclé…!

Je n’ai rien planifié, si c’est ce que tu veux savoir, mon Lo. J’ai abandonné il est vrai mes ambitions de vie en kit puisque, c’est clair, elles sont d’une part prématurées et d’autre part encore un peu indécentes. Et de surcroît, est-ce ce que mon for intérieur attend réellement pour parachever son adolescence attardée et "devenir vieux sans être adulte" ("oh! mon amour, mon beau, mon tendre, mon merveilleux amour, de l’aube clair, jusqu’à la fin du jour…", tu connais la chanson…) ? J’ai une virilité déviante, c’est entendu, mais virilité quand même. Et j’aimerais assez savoir ce que mes X donneraient avec des XY bien assortis (or, s’il faut, je suis stérile, et je ne le sais même pas ! T’imagines l’horreur ?)… Cependant, je n’ai rien contre un sacrifice de plus si je devais trouver l’amour dans l’autre pré (ou le même, en fait, pour être plus terre à terre et brouter la même herbe !).

Il m’est toutefois acquis que je n’ai pas de révélation en te prenant dans mes bras. Cela m’est confusément naturel, c’est exact, doux et violent à la fois… Et véritablement grisant, cependant. Or tu sais que je ne fais rien pour le sexe, en tous cas rien d’absolu. Je suis bien plus volontiers attisé, enflammé, par des gestes doux, des yeux désarmants de tendresse, miroir de l’âme où l’on se noie, que par des allumages dans les règles de l’art qui ont le don de me donner à penser à une bête besogne ! Voilà pourquoi je ne fais pas l’amour sans amour, tu le sais. Mais il semblerait que ce soit aussi et désormais une condition sine qua non chez toi… Tu m’en vois ravi et profondément flatté. Car s’il devait s’avérer que tu me résumes un beau jour, ou peut-être une nuit (!), à un phantasme de seule chair, je serais définitivement déçu. Mais tant qu’il y aura du cœur, je peux tout concevoir. Je prends le plaisir là où il se trouve, à sa source ; et je donne en retour celui que je peux apporter, celui dont j’ai les moyens et la sage connaissance. Ensuite, j’apprends vite et regorge de raffinements dans ma boîte de Pandore !

C’est simple. L’avenir me dira, te dira, nous dira, si l’on est fait pour tenter de construire quelque chose en dur, une maison, une vie, un triumvirat, un cercle peut-être, sur les bases de notre amitié croissante, de notre attachement réciproque, de notre attirance magnétique. Pour l’instant nous n’en savons rien. Demain, je tomberai peut-être en amour pour un joli brin de fille et toi pour un autre gars que ton régulier. Rien n’est inscrit entre nos mains lorsqu’elles brûlent réciproquement nos corps. Avec le plaisir que nous en savons. C’est le hasard des rencontres, le champ des possibles comme je me plais à l’appeler. Tu fais partie pour moi de ce champ-là et, par conséquent, de ce qui est possible. Je prends donc la place que tu me donnes, aussi petite soit-elle, ne te cachant pas qu’au jour d’aujourd’hui je serais somme toute heureux d’en prendre davantage encore, fondamentalement frustré de devoir compter sur tes seules disponibilités pour avoir la jouissance de nos rencontres. C’est donc ainsi.

Le bonheur que j’éprouve à me lover contre toi, à observer le moindre de tes tressaillements, à t’entourer de soins, à baiser ta bouche, ton menton, à me laisser dominer à mon tour l’instant d’après, à sentir ton désir fuir gentiment de sa cache, à l’instar du mien, plus raisonnable cependant puisque je maîtrise tout dans ces instants-là… Mais combien de temps ? Car c’est un ravissement de chaque minute, un bout d’étoile filante qui m’illumine de l’intérieur. Voilà pourquoi, Mignon, je vais voir si la rose… et je la cueille avant qu’elle ne se fane, rose de la vie… Quand je t’ai dans mes bras, je suis heureux. C’est simple, cela ressemble a du carpe diem, et dont acte. Je suis la Fadette, héroïne de Zola, qui s’entoure dans son Paradou, paradis aux millions de fleurs, aux millions d’odeurs, et d’un seul amant, l’Abbé Mouret. La félicité était là, dans ces pages, c’est beau, c’est déchirant, ca donne envie de renoncer à tout pour n’en aimer qu’un(e), tout lui sacrifier, sachant que l’autre comblera le reste. C’est beau l’amour, on n'a rien trouvé de mieux…

Voilà mon Lo, je cesse ici, j’ai mon je m’en fous qui me fait de l’œil et il est entreprenant le bougre ! J’ai été heureux de te conserver ces heures. J’aime être avec toi, par la pensée, par le cœur, par le corps, j’ai… c’est con à dire… mais j’ai besoin de toi depuis que tu m’as alpagué, tu fais désormais partie pour moi de ces nourritures terrestres. Je t’invite à toucher du doigt les célestes. Je n’irai jamais que là où nous désirons finalement aller ensemble. Laissons faire, prenant le plaisir où il se trouve et n’exigeons rien en retour pour le moment. L’avenir fera vraisemblablement son affaire… d’autant plus si c’est moi qui me volatilise, sait-on jamais, je suis un peu imprévisible parfois… Je débarrasserai peut-être plus vite que tu ne le penses le plancher de mes restes infidèles si je sens que je merdoie sans retour…

Mais, putain, sache-le : je tiens à toi, mon Bel-Ami, mon frangin incestueux, mon clone. Je tiens à toi, et ce n’était pas prévu au programme. Alors ne me lâche plus désormais, c’est trop tard, tu as suscité ta créature, continue à l’apprivoiser… je t’adopterai peut-être un jour, et crois-moi, ce jour là, ce sera beau. Au moins on aura essayé.

Prends soin de toi, couvre ton âme, et continue de m’aimer comme je t’aime, dans l’univers fatalement glissant qui nous entoure, dans le désir, la confiance et le partage. Je suis heureux de ce que je glane déjà en si peu de temps, c’est plutôt bien… Ne changeons donc rien, laissons aller le vent, il y a de la tendresse au bout, elle t’attire, elle m’attire. Voguons !

Bien à toi, mon Lo.

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