Une nouvelle tentative de renouer notre toile sur la toile ?
Mon Bel-Ami,
Ainsi donc nos élucubrations te manqueraient ? Cest vrai quelles se sont quelque peu raréfiées depuis un certain temps, particulièrement depuis que tu as quitté Corte et depuis que jai parallèlement décidé, choisi, de demeurer un peu plus sage dans mon verbe écrit à défaut de mes actes, je te laccorde ! Cest drôle que tu aies le sentiment dune telle profusion de lignes (tiens ? et si jallais me repoudrer le nez !?!) de ton côté car, je te le jure, face à lattaque à main armée des dizaines de pages dont je tai imposé la lecture, ta prose est nettement plus rare et bien souvent autrement plus anodine, ne ten déplaise ! Mais peut-être fais-tu un amalgame malgré toi avec nos conversations écrites sur NM qui, cela est exact, étaient pour leur aimable part denses et touffues Un vrai bonheur, de jolis souvenirs
Bien entendu, si lenvie te prenait de vouloir utiliser à nouveau ce vecteur-ci (quoi que tu aies un jour émis lidée de mon radotage et de ton refus de devenir un épistolier redondant !), je suis toujours partant dans la mesure où, comme tu le sais, jécris comme je parle, au poids, au kilomètre, à lenvie, à lamour, et que je touche tout ce qui me passe par la tête, par les mains, les idées les pires et les meilleures, les indécences, les impudeurs. Je nai pas dinhibitions particulières lorsque je corresponds avec un être aimé. Et tu fais partie de cette caste privilégiée, des rares Elus de mon cur. Seulement, mon Lo, nattends pas de moi que je sois lunique scribouillard qui peuplerait le vide de ta boîte et flatterait ton ego par le doux intérêt que je te porte. Je ne jouerai à nouveau lhymne à la nudité dâme que dès linstant où tu men aligneras autant Etre le dépositaire dun bout de lautre, le garant de secrets, le sceau sacré, cest beau quand cest réciproque. Reprends donc ton clavier et je retrouverai le chemin du mien, sans quoi jaurais trop la sensation de réclamer et dinonder ton rivage sans bénéficier du ressac
Mais puisque jen suis là et précisément ici, profitons-en et débattons un peu des derniers événements.
Oui, bien sûr, moi aussi jai le plaisir certain à discuter avec toi, à parler de ce qui nous a forgé, des histoires qui nous ont sculptés, des mains qui nous ont touchés. Jai la confiance aisée avec toi, et ainsi la confidence, bien que je souhaite conserver pour linstant certaines choses, certaines clefs à mon essence, ces fameux "secrets" que jappellerais plutôt "silences" à mon sens. Cest toutefois drôle comme tu te révèles un tantinet incohérent lorsque tu me demandes de ten dire plus alors que tu mas déjà fait le reproche de me dévoiler trop rapidement Curieux que ce Lo qui saffole den recevoir trop et de nen avoir cependant pas assez ! Lorsque je te dis quil faudra le "mériter" cest assurément un gros mot, étant donné quaux noisettes de mes yeux tu ne démérites en aucune façon que ce soit Simplement, toi comme moi conservons des voiles sur nos expériences, des petits silences qui sébruiteront peut-être avec le temps, avec lenvie, avec loccasion, ou avec un don de soi plus grand encore. Tu ne mas pas éclairé davantage sur ton parcours psychique, ton traumatisme adolescent que tu mas confié par exemple ; je ne tai pas encore explicité le chemin qui est le mien. Nous avons donc des zones dombre, non des terrains de chasse gardée mais des réserves. En attendant Lamitié se construit, lamour philia sétend, léros pointe le bout de son nez aussi. Curieux mélange, nest-ce pas, un peu explosif peut-être, mais quelle griserie !?!
Je prends toujours comme un compliment que tu compares tel ou tel moment que nous passons ensemble à un de tes chers souvenirs. Je deviens "lexacte synthèse", pour reprendre un de mes mails précédents, de ce que tu as ailleurs, épars Cest aussi ce qui te troubla et te trouble encore malgré toi, éventuellement. Le trouble se partage, crois-moi, même sil nest pas à proprement parler, du moins je le suppose, le même chez moi
Que sont ainsi nos neuf années de différence ? Je nai pas le sentiment de te paterner et, sois en bien assuré, tu ne deviens pas pour autant mon mentor, mon Pygmalion. Je prends les choses comme elles se présentent, avec linnocence qui simpose, avec le vice qui signore. Je sais des trentenaires cons comme la lune, je connais des nouveaux adultes autrement plus désenchantés que ton serviteur. Voilà pourquoi je ne crois par à larithmétique des anniversaires quand on partage lesprit et le corps. Il sagit davantage de feeling, de trésors communs, déchos dans ses cultures, dans ses aspirations les plus publiques, les plus secrètes aussi, il sagit dalter égotisme, lautre moi dans le verbe latin ! En ceci, je ne me retrouve pas sur une planète tellement différente de la tienne. Et quoi quil en soit, que jaie fait de Casimir mon rendez-vous quotidien à lâge où tu nen avais que pour Dorothée (qui sévissait cependant déjà en face dans Récrée A2) ne fait pas, entre toi et moi, une montagne alors que dautres vallées nous rapprochent
Je ne te vends rien, disant cela, tobjecte simplement que ce type de remarque nest pas recevable dans mon monde à moi. Cest ainsi quIvan mest un ami extraordinaire. Jen avais 21, lui 14. Si les chiffres nous donnaient tort, les faits auront prouvé le contraire. Et la durée aussi De toutes façons, ce ne serait pas même ton inquiétude que ces neuf ans de réflexion, the nine years itch ! Nes-tu pas venu au grand galop faire ton numéro de bel étalon sous mon doux regard médusé de jeune homme "plutôt bien conservé" !?!
Non, ce qui gêne, outre lindubitable fait que ce nest absolument pas de saison ni (encore ?) de circonstances, cest bel et bien le genre de vie, dexistence, que tu veux mener, plus précisément ta sacro-sainte liberté, liberté chérie, qui te fait trop facilement défaut, même si tu la sauvegardes tant bien que mal auprès de JF, tout occupé quest celui-ci à lomniprésence de ses affaires et tout désireux aussi de pouvoir continuer à impunément jeter des yeux deci delà Echange de bons procédés donc, mais "curieux couple" pour reprendre mon impression de départ, couple que je trouvais (trouve ?) malsain ! Ten souvient-il, ce nest pas si loin !?!
Alors, bien sûr, ici ta jeunesse est à nouveau la carte maîtresse que tu ressors, prétextant que tu aimerais vivre, ne plus avoir à sacrifier autant comme à ce jour, pour pouvoir exister selon ton envie, selon tes desiderata, rentrer, sortir à ta guise, voir tes amis que, visiblement, tu narrives pas à intégrer dans ton histoire amoureuse Cest dommage que de ne pouvoir construire un cénacle où évoluer à deux, crois-moi, et je sais ce que cest, jai aussi rencontré le même problème avec Chloé. Sauf que je fis en ce qui me concerne des coupes sombres. Et que cela nen a pas valu le coup, malheureusement ! Toi, tu te préserves, tu les préserves, tu me préserves par le fait même, et je tadmire. Mais évidemment je nai pas de fascination pour lentité que JF et toi formez, tu me pardonneras cette réserve
Tu mas ainsi demandé ce que jen pensais ; jai répondu Et je men veux dailleurs de ma franchise. Cela ma fait de la peine que de te mettre dans cette position Je ne voulais pas te faire du mal, cest certain, ni tobliger à te justifier. Car je ne suis rien ni personne lorsque je sens une faille prête à devenir gouffre, je nai aucun droit de jouer les Cassandre de la sorte, aucune légitimité non plus. Et, de surcroît, je suis suspect de prêcher pour ma paroisse, puisque je nai dieu, grand ouvert, que pour cette belle Eglise, cette douce icône, dont je brigue en bon païen le sacrement, la communion extatique, la fameuse Passion dont je tai déjà parlé ! Je te demande pardon pour juger ce qui ne mappartient pas, pour utiliser ce sixième sens dont je connais, somme toute, la perspicacité Tu ne men voudras pas, jespère. Mais rassure-moi, sil te plaît. Je tiens à ton regard.
Evidemment, je ne puis parler quen miroir de ce que je vis, et cest assurément un prisme un peu obtus et forcément subjectif. Je peux friser lanamorphose aussi Il est quoi quil en soit exact que tes velléités daffranchissement, cette volonté si, des fois si, tu devais recommencer quelque chose, me rendent tant et plus perplexe et convaincu de ce que je sens. Que tu vives le couple comme une aliénation est pour moi une chose délicate à comprendre. Je suis de nature possessive, jalouse, jespère généreuse, aimante en tous cas, "nounours" tendre pour te citer, et je ne vois pas le lien qui me lie à lautre comme un boulet, comme un obstacle sur mon chemin, au contraire Je vois ceci comme un port croquignolet, un phare rassurant, une antre où se blottir, sépancher à plein temps, convaincu de loreille et de lattention de lautre Je suis certes échaudé par mon ex, certes, certes, mais je ne sais rien de mieux que de vivre à deux, que de se réveiller toujours auprès de lêtre aimé. Annihilé par conséquent mais tellement partant pour tisser ma corde et mamarrer solidement. Je nai rien dune moule sur pilotis pourtant, je tassure ! Je demeure indépendant et toutefois délicieusement attaché, je fais du plat, je fais lamour et lamitié, tout mélangé Doù vient cette différence entre nos deux façons dentrevoir un avenir ? Je ne crois pas que cela procède des années mais plutôt de lépanouissement que lon éprouve au sein de ce que nous savons vivre et partager dans les couples que nous avons formés Je nai pas le talent de légoïsme pour ma part, cest un fait avéré, sans quoi je mettrais à profit mes atouts pour combler le vide et me faire mousser
Ainsi, daprès moi, soit tu te contentes de ton insatisfaction (que tu ne veux pourtant pas recenser) soit tu nes présentement pas fait pour ce genre dexpérience, prioritairement versé vers ta satisfaction personnelle, un chouya nombriliste, et accessoirement un peu égocentré (Ah, ca y est ! ! ! Jen tiens un de défaut chez mon Grand Circoncis !). Tu nas bien sûr nulle obligation de me répondre. Laisse-moi juste le plaisir de tâcher de te faire comprendre que je ne suis pas une sangsue dans mes histoires damour dès lors que lon possède le désir de rentrer à la maison en étant heureux de retrouver ce qui réchauffe chaque jour que Dieu fait, un plat de tendresse et un cur simple
Cette missive ne serait cependant complète sans que je lève en toutes lettres le doute qui plane daprès toi sur mes intentions, sans que je réponde à ta sublime question à un million, nouvelle version puisque nouvelle donne, à laquelle jai pourtant déjà répondu verbalement mais cest visiblement tombé à terre dans un corps à corps trop musclé !
Je nai rien planifié, si cest ce que tu veux savoir, mon Lo. Jai abandonné il est vrai mes ambitions de vie en kit puisque, cest clair, elles sont dune part prématurées et dautre part encore un peu indécentes. Et de surcroît, est-ce ce que mon for intérieur attend réellement pour parachever son adolescence attardée et "devenir vieux sans être adulte" ("oh! mon amour, mon beau, mon tendre, mon merveilleux amour, de laube clair, jusquà la fin du jour ", tu connais la chanson ) ? Jai une virilité déviante, cest entendu, mais virilité quand même. Et jaimerais assez savoir ce que mes X donneraient avec des XY bien assortis (or, sil faut, je suis stérile, et je ne le sais même pas ! Timagines lhorreur ?) Cependant, je nai rien contre un sacrifice de plus si je devais trouver lamour dans lautre pré (ou le même, en fait, pour être plus terre à terre et brouter la même herbe !).
Il mest toutefois acquis que je nai pas de révélation en te prenant dans mes bras. Cela mest confusément naturel, cest exact, doux et violent à la fois Et véritablement grisant, cependant. Or tu sais que je ne fais rien pour le sexe, en tous cas rien dabsolu. Je suis bien plus volontiers attisé, enflammé, par des gestes doux, des yeux désarmants de tendresse, miroir de lâme où lon se noie, que par des allumages dans les règles de lart qui ont le don de me donner à penser à une bête besogne ! Voilà pourquoi je ne fais pas lamour sans amour, tu le sais. Mais il semblerait que ce soit aussi et désormais une condition sine qua non chez toi Tu men vois ravi et profondément flatté. Car sil devait savérer que tu me résumes un beau jour, ou peut-être une nuit (!), à un phantasme de seule chair, je serais définitivement déçu. Mais tant quil y aura du cur, je peux tout concevoir. Je prends le plaisir là où il se trouve, à sa source ; et je donne en retour celui que je peux apporter, celui dont jai les moyens et la sage connaissance. Ensuite, japprends vite et regorge de raffinements dans ma boîte de Pandore !
Cest simple. Lavenir me dira, te dira, nous dira, si lon est fait pour tenter de construire quelque chose en dur, une maison, une vie, un triumvirat, un cercle peut-être, sur les bases de notre amitié croissante, de notre attachement réciproque, de notre attirance magnétique. Pour linstant nous nen savons rien. Demain, je tomberai peut-être en amour pour un joli brin de fille et toi pour un autre gars que ton régulier. Rien nest inscrit entre nos mains lorsquelles brûlent réciproquement nos corps. Avec le plaisir que nous en savons. Cest le hasard des rencontres, le champ des possibles comme je me plais à lappeler. Tu fais partie pour moi de ce champ-là et, par conséquent, de ce qui est possible. Je prends donc la place que tu me donnes, aussi petite soit-elle, ne te cachant pas quau jour daujourdhui je serais somme toute heureux den prendre davantage encore, fondamentalement frustré de devoir compter sur tes seules disponibilités pour avoir la jouissance de nos rencontres. Cest donc ainsi.
Le bonheur que jéprouve à me lover contre toi, à observer le moindre de tes tressaillements, à tentourer de soins, à baiser ta bouche, ton menton, à me laisser dominer à mon tour linstant daprès, à sentir ton désir fuir gentiment de sa cache, à linstar du mien, plus raisonnable cependant puisque je maîtrise tout dans ces instants-là Mais combien de temps ? Car cest un ravissement de chaque minute, un bout détoile filante qui millumine de lintérieur. Voilà pourquoi, Mignon, je vais voir si la rose et je la cueille avant quelle ne se fane, rose de la vie Quand je tai dans mes bras, je suis heureux. Cest simple, cela ressemble a du carpe diem, et dont acte. Je suis la Fadette, héroïne de Zola, qui sentoure dans son Paradou, paradis aux millions de fleurs, aux millions dodeurs, et dun seul amant, lAbbé Mouret. La félicité était là, dans ces pages, cest beau, cest déchirant, ca donne envie de renoncer à tout pour nen aimer quun(e), tout lui sacrifier, sachant que lautre comblera le reste. Cest beau lamour, on n'a rien trouvé de mieux
Voilà mon Lo, je cesse ici, jai mon je men fous qui me fait de lil et il est entreprenant le bougre ! Jai été heureux de te conserver ces heures. Jaime être avec toi, par la pensée, par le cur, par le corps, jai cest con à dire mais jai besoin de toi depuis que tu mas alpagué, tu fais désormais partie pour moi de ces nourritures terrestres. Je tinvite à toucher du doigt les célestes. Je nirai jamais que là où nous désirons finalement aller ensemble. Laissons faire, prenant le plaisir où il se trouve et nexigeons rien en retour pour le moment. Lavenir fera vraisemblablement son affaire dautant plus si cest moi qui me volatilise, sait-on jamais, je suis un peu imprévisible parfois Je débarrasserai peut-être plus vite que tu ne le penses le plancher de mes restes infidèles si je sens que je merdoie sans retour
Mais, putain, sache-le : je tiens à toi, mon Bel-Ami, mon frangin incestueux, mon clone. Je tiens à toi, et ce nétait pas prévu au programme. Alors ne me lâche plus désormais, cest trop tard, tu as suscité ta créature, continue à lapprivoiser je tadopterai peut-être un jour, et crois-moi, ce jour là, ce sera beau. Au moins on aura essayé.
Prends soin de toi, couvre ton âme, et continue de maimer comme je taime, dans lunivers fatalement glissant qui nous entoure, dans le désir, la confiance et le partage. Je suis heureux de ce que je glane déjà en si peu de temps, cest plutôt bien Ne changeons donc rien, laissons aller le vent, il y a de la tendresse au bout, elle tattire, elle mattire. Voguons !
Bien à toi, mon Lo.